Jurés correctionnels: une loi pénale expérimentale est un concept dangereux

Publié le par fomagistrats

Le Sénat vient de voter le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la Justice pénale en proposant d'adjoindre au tirage au sort un mécanisme fondé sur l'aptitude des futurs jurés. Le texte affirme dans sa dernière partie, le caractère expérimental de la plupart de ses dispositions.
Il résulte de ces deux préconisations, et de la dernière en particulier une atteinte grave au principe de l'égalité des citoyens devant la loi.

En affirmant le caractère expérimental des dispositions nouvelles le Sénat crée clairement une justice à plusieurs vitesses, et cela laisse perplexe.

Une des critiques récurrentes portées sur l'action de l'autorité judiciaire est, dans le discours dominant, la différence d'application de la loi d'un point à l'autre du territoire national.

Pourquoi dès lors certains seront-ils jugés à l'ancienne et d'autres à la nouvelle mode? Pourront-ils dès lors se plaindre de cette discrimination qui les frappera dans un sens comme dans l'autre ? Comment justifier auprès des victimes, que dans un cas, il y aura des citoyens dans la composition du tribunal et dans d'autres seulement des magistrats professionnels? Qu'en pensera le Conseil Constitutionnel ? Et la Cour Européenne des Droits de l'Homme ?

L'égalité de tous devant la loi est un des principes fondateurs des institutions républicaines. Les lois, expression de la volonté générale doivent être appliquées également à tous, et le pouvoir exécutif doit trouver les moyens de le faire, en particulier lorsqu'il est, comme c'est le cas à l'initiative du projet portant la réforme.  Si ce n'est pas le cas, l'égalité des citoyens devant la loi n'est plus garantie.

La raison est bien sûr à chercher du point de vue purement matériel: l'application de la réforme est impossible à assurer. L"étaler" permettra de la "lisser" en fonction de possibles redéploiement de personnes futurs (on n'ose plus parler de recrutements), tout en retardant les contestations après l'échéance de l'élection présidentielle, si tant est qu'il en soit encore question après cette date.

L'étude d'impact , dont la pertinence mérite par ailleurs d'être critiquée, prévoit la création de 155 postes de magistrats et 180 greffiers, soit moins d'un par tribunal, alors que le temps passé à l'audience va augmenter, de même que le temps de délibéré et les moyens nécessaires à la gestion des nouvelles audiences avec ou sans jurés.

Or le nombre de magistrats recrutés chaque année au premier concours, qui détermine les pourcentages de recrutement latéraux n'est que de 80 depuis plusieurs années. Cette réforme, qui est loin d'être la seule consomme donc au moins,selon les chiffres sous-évalués du ministère de la justice,  deux promotions de magistrats du premier concours. Elle intervient en même temps que celle de l'internement d'office et de la garde à vue: Comment absorber tout cela à moyens constants ?

La réalité n'est pas un fantasme: il serait temps de s'en souvenir !

 

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