colloque du 23 juin: dossier de presse.

 

CHRONIQUES DE MORTS ANNONCEES

 

 

 A la suite du suicide d’un juge d’instruction affecté à Pontoise ,survenu le 16 septembre 2010, le Syndicat National Force Ouvrière des Magistrats a constitué un groupe de travail portant sur l’analyse des situations de souffrance au travail au sein de la profession.

 

Le résultat des travaux conduits jusqu’à présent peut se résumer ainsi :

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    • Il n’existe pas d’état des lieux cohérent des situations relevant de la souffrance au travail dans les juridictions.

    • Il n’y a pas de volonté politique affirmée de voir évoluer la question.

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    • Enfin, il n’y a pas à ce jour de volonté politique de voir développer une approche critique des conséquences des nouvelles méthodes de gestion des personnels en matière de souffrance au travail au sein du ministère de la Justice.

 

Le rappel du cadre juridique qui lie l’Etat à ses agents et les conséquences qui s’y attachent est le préalable indispensable à la revendication d' une approche des relations de travail fondées sur un respect des personnels et n’ayant plus la peur comme seule valeur commune .

 

 

Premier constat : Une absence totale de visibilité.

 

Le ministère de la Justice : 74 000 fonctionnaires.

La direction des services judiciaires : 30 000 personnes.

Dont : 8 000 magistrats, 1 500 greffiers en chef, 8 000 greffiers, 12500 agents de catégorie C.

Le nombre de suicides liés d’une manière ou d’une autre à l’exécution du travail parmi les effectifs de cette direction  est à ce jour inconnu.

 

Le nombre d’incidents au sens large mettant en jeu la santé des personnels ( de l’accident de travail ou de trajet à l’agression caractérisée, voire à la tentative d’homicide ) est inférieur à 400 par an sur la France entière ( y compris les collectivités d’Outre-Mer), d’après la direction des services judiciaires.

 

Autant dire que ce chiffre ne permet aucune analyse d’ensemble, et par la même aucun traitement sérieux des problèmes . A l’heure ou la statistique détermine l’appréciation de la pertinence de toute politique engageant la moindre dépense publique, on ne peut que déplorer une telle absence d’instrument de mesure.

 

 

Deuxième constat : L’administration ne nie pas le problème, mais les propositions faites ne sont pas , loin s’en faut, à la hauteur de l’enjeu.

 

Le ministère de la Justice a institué un groupe de travail sur la souffrance au travail qui s’est réuni de janvier à juin 2011 en associant les organisations syndicales représentatives au sein du ministère. Si l’organisation des réunions a été appréciée des acteurs sociaux, le compte rendu final des travaux a beaucoup déçu et les pratiques constatées encore aujourd’hui dans les juridictions laissent perplexes :

 

- S’agissant de la médecine de prévention, la pauvreté des moyens est accablante:

Les professionnels de la médecine de prévention préconisent aujourd'hui en matière de souffrance au travail, de recourir à une approche pluridisciplinaire articulée sur un minimum de moyens mis à disposition.

 

Si dans d’autres directions du ministère, il existe par exemple une procédure organisant de manière habituelle le recours possible à des psychologues après un évènement traumatisant, notamment les suicides sur le lieu de travail , rien de tel n’existe de manière systématique au sein de la direction des services judiciaires. Dans le cas du magistrat qui a mis fin à ses jours à Pontoise, la prise en charge des personnes qui souhaitaient rencontrer un psychologue n’a pas eu lieu sur le lieu de travail.

 

Le recrutement de médecins de préventions ainsi que la mise à disposition de moyens nécessaire à leur activité est très difficile, faute notamment d’une volonté claire du ministère en la matière. La question des locaux, de l’organisation du secrétariat, n’est absolument pas accompagnée sur les différents sites judiciaires, y compris dans les juridictions les plus importantes.

 

Dans certains cas l’administration ne protège pas ses agents ...

Il n’est pas rare que l’administration s’oppose aux modalités d’un traitement nécessitant un aménagement de service, ou conteste parfois plusieurs mois après les faits le lien d’un dommage, en particulier d’un accident du travail , avec l’activité professionnelle.

... Alors même que la sécurité des personnels sur les lieux de travail est une obligation de l’employeur susceptible de recevoir une qualification pénale !

 

 La directive européenne 89-931 a été transcrite en droit français dans le Code du Travail (art L 4121-2). Ce texte fixe les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques professionnels.

Il prévoit notamment un certain nombre de sanctions pénales en cas de mesures insuffisantes et d’exposition à des risques professionnels. La jurisprudence a affirmé depuis 2002 que l’obligation de l’employeur était une obligation de résultat.

 

L’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 19 mai 2011 a considéré s’agissant des suicides au sein du Techno-Centre Renault, qu’il était possible de déduire l’existence d’un lien de causalité engageant la responsabilité de l'employeur, entre le suicide d’un salarié et les conditions de travail qu'il devait subir.

 

Ces dispositions du Code du Travail s’appliquent aussi aux administrations publiques.

De manière tout à fait curieuse, le ministère de la Justice, ministère du Droit est loin d’être une administration modèle en la matière !

Rappelons que dans le cas du magistrat ayant mis fin à ses jours à Pontoise, il a fallu 7 mois pour que notre syndicat obtienne que le ministre ordonne une inspection de la juridiction, alors même que ce juge avait laissé à ses proches une lettre reliant directement son geste à ses conditions de travail.

 

Troisième constat : Au-delà des causes personnelles, les méthodes d’organisation du travail contribuent au malaise.

 

  •  

  • La logique managériale plaquée sur la Justice.

 

Les valeurs sur lesquelles reposent l’action des tribunaux peuvent se résumer à la nécessité d’une certaine mise à distance, d’une appréciation circonstanciée des faits soumis afin d'appliquer justement la loi.

Les nouvelles méthodes de management , introduites à partir de la dernière décennie du XX° siècle reposent sur une conception du travail radicalement opposée. L’urgence, l’immédiateté, dans la réponse aux sollicitations sont désormais la règle dans les relations professionnelles.

 

Dans le même temps, des mécanismes de contrôle individuels sur les agents ont été développés : La prime de rendement, appelée « prime modulable » crée en 2004 pour les magistrats par exemple, peut aujourd’hui atteindre aujourd’hui jusqu’à 18% du traitement.

La réforme de l'évaluation tendant à voire émerger une forme d'auto-évaluation, pour ne pas parler d'auto-critique a accompagné ce mouvement.

 

 Le développement de tels dispositifsa eu dans les juridictions les mêmes effets que dans les entreprises du secteur privé : Désinvestissement progressif, perte des savoir-faire au profit d’une approche purement procédurale du travail et rupture des solidarités traditionnelles. S’agissant de magistrats qui doivent en principe échapper aux pressions d’ou qu’elles viennent, un tel mode de rémunération et de tels procédés doivent clairement être remis en question car ils sont de nature à porter atteinte à l'indépendance indispensable à l'exercice de leurs fonctions.

 

L’illusion technologique

 

Le déploiement de plus en plus important de nouvelles technologies dans les juridictions de l’ordre judiciaire est présenté comme un moyen de résoudre un certain nombre de difficultés matérielles.

En réalité, le déploiement des nouvelles technologies ne permet aucune évolution réelle du « coeur du métier » . Elle facilite certes les recherches en matière de jurisprudence et permet d’établir des décisions-type, mais n’influence pas la nécessité de prendre connaissance des procédures et de maîtriser tous les aspects d’un contentieux. Que les informations parviennent par la remise matérielle d’un dossier « papier » ou par la voie électronique ne change rien sur ce point. De même, s'agissant des agents du greffe, le déploiement de nouveaux logiciels, lorsqu'il est performant, n'affecte pas certaines tâches essentielles parmi lesquelles la présence à l'audience.

 

Le véritable enjeu des technologies de l’information est de permettre de construire des statistiques susceptibles en théorie de caractériser l’activité des tribunaux . Cette modélisation purement mathématique du travail contribue finalement, comme dans de nombreux autres secteurs d’activité à vider celui-ci de son sens en éloignant la description des activités de la réalité du terrain.

 

 

Une précarité invisible.

 

Le statut de la magistrature est souvent présenté comme l’un des plus protecteurs de toute la fonction publique française. C’est vrai, mais jusqu’à un certain point seulement.

L’affectation des magistrats dans les services des juridictions, s’agissant des postes de substituts et de vice-procureur, mais aussi de juges, y compris les juges spécialisés (juge de l’application des peines, juges des enfants...)dépendent très largement de leur supérieur hiérarchique.

Les juges spécialisés dans certaines fonctions sont en effet régulièrement requis pour le services général du tribunal, selon des proportions plus ou moins importantes selon les cas.

En dépit des dispositions garantissant l’inamovibilité des magistrats du siège, un juge , et plus largement un magistrat n’est donc jamais assuré de la constance ni de la consistance de sa charge de travail. Au quotidien, le périmètre d’intervention de chaque magistrat, peut être utilisée comme un moyen de rétorsion s’il ne donne pas satisfaction dans ses attributions.

Le système de nomination et d’avancement des magistrats n’intègre pas la possibilité d’être assisté lors de chaque étape du déroulement de carrière ou lors de la définition du service et l’assistance n’est en fait autorisée qu'en cas de procédure disciplinaire

 

Or, la charge de travail, depuis 10 ans, eu tendance à beaucoup augmenter en raison notamment d’un nombre considérable de réformes .

 

En sus des réformes législatives classiques modifiant le fond du droit, la magistrature a été confrontée à la création d’un système de responsabilité individuelle sans équivalent dans le reste de la fonction publique : la possibilité ouverte à tout justiciable de saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce dispositif a été organisée sans qu’une procédure plus protectrice des droits des magistrats n’ait été envisagé . 

 

Ces disposition combinées tendent donc à fragiliser le magistrat dans l’exercice de son activité quotidienne et à faire de la poursuite de l’activité un véritable enjeu.

Les dispositifs qui organisent l’échange et le dialogue au sein des juridictions sont, enfin unanimement décrits, y compris par la direction des services judiciaires, comme des systèmes défaillants.

Les autres corps de fonctionnaires des juridictions ont connu, chacun sous des formes différentes des problématiques comparables s'agissant notamment des localisations d'emploi et d'évaluation de leur charge de travail par des outils inadaptés. Le principe de « fongibilité asymétrique » de la dépense publique permettant de récupérer les fonds correspondant à des emplois non pourvus pour les convertir en matériel ou en dépenses d 'investissement a été à l'origine de coupes claires dans les effectifs.

Absence de structure permettant une défense contradictoire, perte du sens du métier, développement des technologies du management sans évaluation de leurs effets pervers, toutes les conditions sont réunies pour voir se développer le risque de graves situations de souffrance au travail.

REVENDIQUER L'ABANDON D’UNE LOGIQUE MORTIFERE

 

L’existence d’un lien des cas de suicide avec la sphère professionnelle ne peut être écartée, car les logiques de gestion des ressources humaines ont désormais pour objet de créer non un rapport de travail, mais bien un rapport de soumission.

Venir à bout d’une telle évolution passera par la nécessité de mettre l’administration face à ses responsabilité dans la protection de ses agents, y compris les magistrats. En créant notamment un nouveau rapport de droit et un nouveau rapport au droit.

Il est indispensable que l'opinion publique soit informée de ces questions car elles constituent un véritable enjeu démocratique.

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